Rituels essentiels de l'Éducation nationale, les conseils de classe, où se décide parfois l'avenir de certains élèves, ont-ils encore une valeur pédagogique ? se demande Max Heze, qui enseigne l'histoire-géo dans un collège de zone périurbaine, et chronique chaque semaine pour « Marianne » l'actualité vue de sa classe.
Des hiéroglyphes ou peut-être du démotique, j'hésite. Champollion du dimanche, je tourne et retourne la feuille. J'ai l'habitude de déchiffrer toutes sortes d'écritures, mais là, je cale. Et si je prenais un miroir ? Non, décidément, 25 ans après, je n'arrive toujours pas à relire l'appréciation de mon ancienne prof de philo. Facétieuse, ma mère aime bien ressortir, de temps à autre, quelques antiquités, « histoire de te rappeler l'élève que tu étais ». « Tu ne mets pas de zéro au moins ? ». La même question depuis que j'enseigne, et la même réponse : « non, non maman, je trouve toujours un point. »
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Ce jour-là, mon attention se porte sur les formules, ciselées, de mes anciens profs. Comment remplissait-on les bulletins en – 10 avant la généralisation de Pronote, dans les années 1990 ? L'essentiel était encore manuscrit. Chaque enseignant notait la moyenne « à la main », suivie de l'appréciation soigneusement réfléchie, en un bleu ou un noir de rigueur. Quelques traces de correcteur blanc, encore visibles, trahissaient des hésitations mais dans l'ensemble, mes profs avaient l'air sûrs de leurs sentences, courtes et sans appel. Ou alors n'avaient-ils pas eu le choix, vu la place restreinte allouée à chaque discipline.
Pour le reste, rien n'a vraiment bougé depuis cent cinquante ans. Le champ lexical se répète : « volontaire », « appliqué », « de bonnes capacités d'analyse », « n'a pas su fournir les efforts nécessaires », « peut mieux faire ». Délégué – c'est toujours utile pour plaider sa cause – j'assistais aux conseils. J'évoluais déjà dans un environnement « hétérogène », où la « tête de classe a(vait) des acquis solides » et où les plus en difficulté étaient appelés à « réviser de toute urgence le baccalauréat » en se coltinant un « avis réservé » au passage.
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Un lundi soir et deux décennies plus tard, me voici à mon tour en train d'imprimer des bulletins. Quelques instants après, je suis en salle de réunion. Disposée en carré, l'assemblée attend le chef d'établissement. Celui-ci finit par arriver, salue rapidement l'assistance et ouvre le bal. Chacun connaît sa partition sur le bout des doigts. Il n’y aura pas de surprise, le travail de fond a été fait en amont. La synthèse de cette classe « très hétérogène », – décidément – est faite par mes soins. Puis vient le fameux « tour de table ».
La parole est distribuée aux collègues qui ajoutent quelques commentaires, aux élèves délégués, qui râlent, encore, sur la cantine ou sur la répartition des devoirs, souvent des deux, puis aux représentants des parents, qui « n'ont pas vraiment eu de remontées », ou alors concernant le poids des cartables et l’accès difficile aux toilettes lors des récrés. Souvent les deux. Le conseil se poursuit avec le « cas par cas », rapidement exécuté au troisième trimestre. Au collège, depuis la quasi-disparition des redoublements, les conseils ont tendance à se raccourcir – sauf en troisième où l'orientation est en jeu – et aucun acteur ne s'en plaint vraiment.
Encadrés par les textes, très codifiés, les conseils ont très peu évolué depuis des décennies. Ont-ils encore une valeur pédagogique ? Pour certains gamins oui, notamment ceux suivis régulièrement à la maison, où un avertissement est pris au sérieux. Pour d'autres, sensibles aux louanges, un bon bulletin à l'issue du conseil peut être source de motivation. Mais pour les élèves les plus en difficulté ou les plus éloignés de la culture scolaire, abonnés au doublé « avertissement travail et comportement », rien n’est moins sûr. L'échec scolaire est déjà intériorisé depuis longtemps.
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Consciente des limites de l'exercice qui tient parfois plus du rite que du conseil, l'institution cherche à le dépoussiérer et encourage des initiatives locales. Des milliers de collègues ont réfléchi à de nouveaux formats pour leur redonner sens, sans aller jusqu'à l'abolir, comme cela se fait chez certains de nos voisins. L'idée est souvent la même : associer davantage les élèves et leurs parents à la réflexion sur l'évolution de leur propre scolarité. Pour cela, le travail en amont du conseil, notamment lors des « vies de classe » (dix heures annuelles animées par le prof principal au collège) est important. Des bulletins de mi-trimestre sont édités et servent de bases de travail, nécessitant une programmation des évaluations plus lissée dans le temps.
Certains élèves sont pourtant étonnés de leurs résultats, disponibles en temps réel sur Pronote. « Ah oui, j'ai quand même 7 de moyenne en maths, c'est pas terrible ». Les ados se donnent ensuite des objectifs personnalisés à atteindre : conserver les félicitations, obtenir des encouragements, la moyenne en maths, ne plus avoir d'avertissement comportement, etc. Se prenant au jeu, beaucoup sont en demande d'explications plus précises concernant leurs résultats. On le sait, les notes sont source de crispations et de négociations, appuyées de plus en plus souvent par les parents. Le phénomène s'accentue depuis la mise en place du contrôle continu. Parfois légitimes, ces requêtes, quand elles sont répétées voire menaçantes, sont un vrai souci pour les collègues, déjà invités « à la plus grande bienveillance » quand ils évaluent. Avec une grille de notation claire, souvent basée sur les compétences, le cap est plus transparent, mais ce travail de correction très prenant et invisible est peu reconnu.
La forme du conseil aussi évolue. Dans certains établissements, ils ressemblent à des réunions parents-profs trimestrielles en présence d'un représentant de la direction, où tous les responsables légaux (et non plus seulement les parents élus) sont invités à venir écouter la synthèse de classe, puis à récupérer les bulletins en main propre, suivi d'un petit entretien avec un membre de l'équipe pédagogique (deux ou trois collègues en plus du prof principal) pour faire le point. La remise des bulletins est donc collégiale. Les élèves qui le souhaitent et les parents peuvent prendre la parole afin de discuter des éventuelles difficultés du groupe mais aussi des projets. Ces conseils se veulent plus conviviaux : jus d'orange, café, gâteaux peuvent être offerts. L'idée est de transformer le conseil-tribunal en une sorte de conseil-brunch, histoire d'ouvrir davantage les portes des établissements aux parents, de faciliter les coopérations et la communication.
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Évidemment, ce suivi, à la fois plus individualisé pour les élèves en difficulté et plus collégial pour la gestion de classe, est idéal mais il est chronophage et parfois irréalisable. D'abord par manque de place dans certains établissements où les locaux ne sont pas forcément adaptés à de telles réunions tenues simultanément et régulièrement. Un autre frein majeur est évidemment le nombre d'élèves par classe, sensiblement plus élevé en France que dans les autres pays de l'OCDE et qui limite le temps accordé au suivi personnalisé.
Dernier écueil important : la grande hétérogénéité des élèves. Tenus d'accueillir tous les publics, sans pour autant en avoir les moyens, les établissements sont en demande constante d'AESH (en charge des élèves en situation de handicap), d'AED (les surveillants), de psys scolaires, de travailleurs sociaux, d'ergothérapeutes… car l'autre clé vers la réussite est la prise en compte de toutes les difficultés de l'ado, souvent multifactorielles. Faute de personnels, ce travail, de plus en plus lourd, et parfois très éloigné de l'enseignement, est dévolu au prof principal, considéré comme un grand coordinateur, sans pour autant avoir de décharge de temps, de formation, et une réelle reconnaissance salariale. Ils sont fort heureusement épaulés par les CPE, mais ces derniers sont également débordés et parent au plus pressé.
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Les établissements où ces nouveaux conseils sont les plus aboutis ont mis en place, au préalable, une vraie réflexion impliquant l'ensemble des acteurs et ont souvent pris le temps de l'expérimentation avant généralisation. Ils ont adopté un rythme différent et fusionné diverses rencontres (les réunions parents-profs classiques sont supprimées par exemple) pour éviter la réunionite aiguë, source de démotivation majeure. Les collègues présents lors de ces conseils, plus longs, en assurent moins, mais ils sont bien plus impliqués. Préparées en vie de classe, les interventions des élèves sont plus constructives et leur présence ne se limite pas à la prise de notes. Les retours sont globalement positifs, même si la place des parents dans ces dispositifs est perfectible.
Contrairement à l'image conservatrice collée aux profs, les collègues sont souvent motivés par les innovations pédagogiques dès lors qu'une plus-value pour les élèves est prouvée, vécue et que leur parole est écoutée par les équipes de direction. Mais ils demandent une vraie coopération plus que des injonctions qui peuvent changer en un rien de temps. Les réunions annoncées par le ministre dans tous les établissements à la rentrée, en l'état encore très floues, pourraient libérer des énergies, à condition d'aboutir sur des projets concrets et concertés et d'accorder le temps nécessaire à leur mise en œuvre. Bref, tout faire pour que ce ne soit pas un énième coup d'épée dans l'eau.